Pour un imaginaire numérique avec Edmond Couchot - Catalogue de l’exposition
Afin de rendre hommage à Edmond Couchot et de prolonger les débats sur ses idées, témoignage d’une pensée vivante, cette manifestation Pour un imaginaire numérique avec Edmond Couchot : les hybridations entre les arts, les sciences, les technologies et l’humain, composée d’un colloque et d’une exposition, ont été conçus conjointement par l’équipe de recherche Image Numérique et Réalité Virtuelle du Laboratoire Arts des images et art contemporain de l’Université Paris 8 (INREV-AIAC) et par le Centre des Arts d’Enghien (CDA).
LA PENSÉE D’EDMOND COUCHOT
Edmond Couchot comme artiste, comme théoricien et comme enseignant s’est intéressé avec passion aux relations entre les arts, les sciences, les technologies et l’humain au cours de leurs évolutions historiques. S’attachant à étudier les processus d’automatisation de l’image, il a analysé comment le passage des techniques de l’image basées sur l’optique (la perspective picturale, la photographie, le cinéma, la télévision, la vidéo) à celles basées sur le numérique (synthèse d’image, multi/hypermédia, réalité virtuelle/augmentée/mixte…) a modifié profondément les techniques de figuration (de la représentation à la simulation) et fait émerger de nouvelles œuvres, où la programmabilité, l’interactivité, l’hybridation et la virtualité sont au cœur du processus de création de l’art numérique. [1]
L’évolution des rapports, entre le sujet et les différents modes d’automatisme machinique de génération de l’image, est le thème décisif de ses travaux et réflexions. S’appuyant sur de nombreuses créations conçues à partir des technologies numériques, il a décrit le bouleversement qu’elles provoquent dans l’acte artistique : le surgissement de nouvelles perceptions et d’expériences technesthésiques, l’avènement d’une vision du monde renouvelée, l’apparition d’une subjectivité transformée, la modification du statut de l’œuvre, du rôle de l’artiste, de la place du spectateur, l’émergence d’une esthétique de l’hybridation... Il a mis, ainsi, en évidence les transformations profondes que les technologies numériques induisent dans le mode de production, de diffusion et de conservation des œuvres d’art numérique. [2]
Son attention s’est également portée sur la question des temporalités spécifiques des images, selon leurs techniques de génération et de diffusion, pour questionner les relations entre arts/sciences/technologies/humain : temporalités de la peinture, de la photographie, du cinéma, de la télévision, de la vidéo, des images numériques. Il a fait ressortir les changements radicaux, dans notre vie, dans notre culture et dans nos arts que les technologies numériques provoquent, avec l’émergence d’une nouvelle temporalité qu’il appelle « uchronique », résultant du « croisement entre le temps subjectif vécu par l’interacteur et le temps réel » [3].
Il s’est aussi intéressé aux robots, avatars et acteurs virtuels sortis des laboratoires qui se sont glissés au sein des pratiques artistiques. Il a montré que grâce à l’appropriation de ces entités artificielles par les artistes, la traditionnelle famille des « arts vivants naturels » s’est renouvelée avec, à ses côtés, la famille des « arts vivants artificiels ». Il a analysé le rapport modifié que ces arts entretiennent avec la science et la technologie contemporaines en dévoilant ce qui demeure et ce qui change dans l’expérience esthétique vécue au cours de la fréquentation d’êtres artificiels, devenus autonomes, par l’effet de présence et d’empathie qu’ils causent chez les spectateurs et les émotions qu’ils déclenchent. [4]
Edmond Couchot a souligné que la façon d’envisager les relations entre les arts, les sciences, les technologies et l’humain a considérablement changé quand les artistes, les théoriciens de l’art [5] et les esthéticiens ont intégré, ou se sont inspirés, dans leurs pratiques et leurs réflexions des connaissances et des paradigmes issus des sciences cognitives. C’est à partir des multiples disciplines composant les sciences cognitives (neurosciences, psychologie, éthologie, sciences du vivant, intelligence artificielle et vie artificielle, sciences de la communication et de l’information, anthropologie, philosophie et esthétique, sociologie…) qu’il a questionné le complexe projet de naturalisation de l’art , s’appuyant, là encore, sur de nombreuses créations artistiques.
L’enseignement a tenu également une grande place dans les réflexions d’Edmond Couchot. Il y a 38 ans, il partageait, avec ses collègues enseignants-chercheurs-artistes [6] co-fondateurs du département Arts et Technologies de l’Image (ATI) de l’Université Paris 8, l’idée fondamentale d’offrir aux étudiants une formation les dotant d’une double compétence artistique et technique.Cette alliance de connaissances scientifiques et techniques (programmation informatique, algorithmie, savoir-faire relatifs aux technologies numériques) et artistiques (recherche-création artistique), perpétuée et renouvelée [7] par les enseignants-chercheurs actuels d’ATI [8], donne aux étudiants la possibilité de développer leur propre esthétique dans des créations artistiques innovantes et ainsi leur permet de s’intégrer aussi bien dans l’enseignement supérieur et la recherche, que dans le milieu professionnel de la création numérique. Cette formation ATI s’adosse à l’équipe de recherche Image Numérique et Réalité virtuelle (INREV-AIAC) où sont développées des recherches-créations en art numérique. Ce laboratoire a été pour Edmond Couchot un lieu essentiel, à la fois d’échange d’idées et de création, pour réfléchir avec ses collègues, sur les relations entre les arts, les sciences et les technologies et l’humain.
Pour clore ce survol de la pensée d’Edmond Couchot, soulignons que le développement de sa pensée a été toujours en relation avec une analyse des œuvres passées et actuelles selon une perspective très ouverte, celle d’un artiste, peintre, cinétique, numérique. Donnons-lui la parole : « À la croyance qu’il n’y a de vraies connaissances que celles que nous apporte la science et qui sont fondées sur des raisonnements logiques, les sciences cognitives montrent que l’art est capable de nous faire acquérir des connaissances d’une égale valeur sur le monde et sur nous-mêmes. Mais la valeur cognitive de ces connaissances diffère de celles qu’apporte la science. L’art affûte d’abord notre aptitude à créer, à pénétrer et à explorer des mondes imaginaires comme s’ils avaient la même épaisseur d’être que les mondes réels, à élaborer des hypothèses sur le sens de ces mondes, à anticiper leur devenir, à s’inscrire dans leur propre temporalité et à jouer avec les formes du temps.[…] Les connaissances les plus spécifiques qu’on doit à l’art sont celles des affects qu’il déclenche en nous. Nous éprouvons lors de la réception des œuvres d’art des émotions inhabituelles et fortes qui élargissent notre gamme émotionnelle, notre compétence à déchiffrer les émotions d’autrui et à les partager sur le mode du plaisir esthétique » [9].
1 Couchot E., Image. De l’optique au numérique, Hermès, Paris, 1988.
2 Couchot E., La Technologie dans l’art. De la photographie à la réalité virtuelle, Éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, 1998.
Couchot E. et Hillaire N., L’Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Flammarion, Paris, 2003.
3 Couchot E., Des images, du temps et des machines dans les arts et la communication, Éditions Jacqueline Chambon, Actes Sud, Arles, 2007.
4 Couchot E., Automates, robots et humains virtuels dans les arts vivants, collection Théâtres du monde, Éditions des Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 2022.
5 Couchot E., La Nature de l’Art. Ce que les sciences cognitives nous révèlent sur le plaisir esthétique, Hermann, Paris, 2012.
6 Hervé Huitric, Monique Nahas et Michel Bret, Jean-Louis Boissier, Anne-Marie Eyssartel, Michel Saintourens, Liliane Terrier, Marie-Hélène Tramus.
7 George-Molland, A.-L. & Plessiet, C., « Producing creative artistic projects by grouping students, computer graphics research topics », in : Eurographics 2014, 35th Annual Conference of the European Association for Computer Graphics – Education Papers, 2014.
8 Chu-Yin Chen, Sophie Daste, Georges Gagneré, Jean-François Jégo, Alain Lioret, Cédric Plessiet, Rémy Sohier.
9 La Nature …, op. cit., p. 294.
POUR UN IMAGINAIRE NUMÉRIQUE AVEC EDMOND COUCHOT, L’EXPOSITION
L’exposition renvoie aux différentes approches développées par les artistes en regard des réflexions menées par Edmond Couchot sur les hybridations entre les arts, les sciences, les technologies et l’humain. Elle s’inscrit dans la vision de cet auteur dont la pensée n’était ni technolâtre, ni technoclaste, et se fonde dans une interrogation profonde et complexe sur les technologies numériques et ses conséquences dans le champ de la création artistique et de la culture : « ce n’est pas pour autant que la technologie impose fatalement à l’art ce qu’il doit être. Quand cela se produit, les œuvres ne sont que soumission, effet de mode. Mais quand la technologie est repensée, déviée de sa finalité instrumentale et pragmatique, elle devient alors l’occasion d’une expérience esthétique, un moyen d’échange intersubjectif d’émotions, de sentiments, d’idées, de connaissances ; elle prend sens » (Leonardo/OLATS, 2015).
Cette exposition conçue par l’INREV-AIAC et le CDA est aussi le reflet de leur longue collaboration sur les arts numériques commencée depuis le début des années 2000. Les actions communes sont nombreuses : pendant plusieurs années, le séminaire de DEA Image Numérique de l’équipe INREV-AIAC et son atelier de recherche-création ont été accueillis par le CDA, ainsi que l’exposition des 20 ans du département Arts et Technologies de l’Image (ATI) et le colloque sur la réalité virtuelle et les arts de 2005 ; l’INREV-AIAC a participé aux débats et aux ateliers prospectifs du Réseau Arts Numériques (RAN) développé par le CDA ; les créations des étudiants d’ATI et celles des chercheurs-artistes de l’INREV-AIAC ont été exposées dans Les Bains numériques et ces derniers ont été invités à participer aux conférences de cette biennale internationale comme cela a été le cas pour Edmond Couchot. Actuellement, cette collaboration fructueuse se poursuit à travers des actions communes sous la forme de recherche-création, de colloque et d’exposition dans le cadre de projets de L’École Universitaire de Recherche (EUR) ArTeC, de la ComUE Université Paris Lumières et de la Commission Recherche de l’Université Paris 8, comme cette manifestation Pour un imaginaire numérique avec Edmond Couchot qu’elles soutiennent.
L’exposition est composée d’une quarantaine d’œuvres d’artistes internationaux et français, ainsi que d’étudiants qui ont participé à l’essor de cet imaginaire numérique. Des installations interactives, des installations en réalité virtuelle et augmentée, des films d’animation de synthèse, des photographies numériques, des dessins, des peintures, des mobiles lumino-cinétiques, des documentaires sur plusieurs œuvres numériques et des spectacles numériques, traversent plusieurs thématiques structurant l’exposition.
POUR UNE JUBILATION PERCEPTIVE
Sous cette thématique sont regroupées plusieurs créations marquant le parcours artistique d’Edmond Couchot dans sa recherche d’une expérience esthétique conduisant vers une « jubilation perceptive » : trois de ses tableaux hybridant l’abstrait lyrique avec l’abstrait géométrique dans une quête du mouvement ; un de ses mobiles musicaux lumino-cinétiques, Sémaphora III réagissant à la musique et à la voix ; deux œuvres interactives poétiques sollicitant le souffle du spectateur, La Plume et Le(s) Pissenlit(s) créées avec Michel Bret et Marie-Hélène Tramus.
AUTOUR DU SOUFFLE
Sont présentées ici, des œuvres réalisées en hommage à l’installation interactive Le(s) Pissenlit(s) , création emblématique de Michel Bret et d’Edmond Couchot.
Je sème à tout vent de Gilles Methel et Manuel Siabato, présente des animations interactives dans lesquelles « la merveilleuse semeuse » du Larousse met en mouvement par son souffle les couvertures des ouvrages d’Edmond Couchot.
Dans Sensouffler, œuvre en réalité virtuelle de Julien Lomet et Joël Laurent, les spectateurs découvrent des écrits sur les œuvres La Plume et Les Pissenlits, en faisant s’élever, par des gestes des bras, les montagnes du paysage virtuel dans lequel ils sont immergés.
Avec Le Souffle emporté, création interactive en réalité virtuelle, les étudiants de la formation Arts et Technologies de l’Image - Vincent Carpintero-Perez, Jonathan Tcheutchemi, Alexis Parent, Lukas Sabaliauskas - ont choisi de revisiter l’interaction par le souffle du spectateur, ce dernier découvrant les souvenirs d’un enfant sous l’envolée des pappus au gré du vent qu’il génère.
INTERACTIVITÉ, HYBRIDITÉ, VIRTUALITÉ
Les œuvres suivantes s’appuient sur les caractéristiques fondamentales de l’image numérique, interactivité, hybridité, virtualité pour en tirer parti artistiquement.
Chienman est une chimère au corps humain et à la tête de chien qui se dédouble et se bat furieusement contre lui-même. Son auteur, Du Zhenjun veut provoquer le malaise du spectateur-interacteur en le confrontant à une situation « mettant en scène la férocité de nos sociétés ».
LAB’SURD, le LABoratoire de la SURvirtualité, de Judith Guez, Guillaume Bertinet et Kevin Wagrez, immerge le spectateur au sein d’un monde virtuel changeant au gré de ses interactions, le conduisant à une exploration d’illusions entre le réel et le virtuel, expérience unique et poétique d’un univers de magie virtuelle.
Mégalotopie de Karleen Groupierre, installation interactive en réalité augmentée, permet à un spectateur de devenir en temps réel le personnage principal d’un court métrage. Cette création présente avec humour une mise en abîme où « le regardant devient le regardé », l’amenant à s’interroger sur le regard qu’il porte sur lui-même et sur l’autre.
Parallèles de Sophie Daste et Éric Hao Nguy confronte le lecteur interactif d’un monde passé fantasmé de la saga vidéoludique Assassin’s Creed, à une réalité contemporaine des mêmes lieux filmés - réalité dévoilée sous ses doigts effaçant une petite surface de l’image du jeu vidéo - ce qui fait naître ainsi d’improbables hybridations d’espaces, de temporalités, réels et virtuels.
Les Mystères de la Basilique d’Edwige Lelièvre et Karleen Groupierre est un jeu artistique à finalité de médiation culturelle - faire connaître l’histoire et le patrimoine de la Ville de Saint-Denis - a eu pour originalité d’hybrider un jeu à réalité alternée avec un jeu en ligne. La démarche transmédia à l’œuvre, mélangeant les genres, jeu de rôle, jeu ARG, art lyrique, installation artistique, projection vidéo dans la basilique de Saint-Denis, a démontré sa capacité à motiver les joueurs-spectateurs.
Récréation de Rémy Sohier, Henri Morawski et Jonathan Giroux, est un jeu vidéo artistique pour l’espace urbain, invitant les joueurs à prendre des postures atypiques qui seront photographiées et montrées aux participants. Le jeu est composé de boutons, d’un écran et d’une caméra, dont la règle est d’appuyer sur les bons boutons dans le temps imparti.
Roswell : autopsie d’une controverse, est une installation immersive en réalité virtuelle basée sur la photogrammétrie à partir d’archives filmiques. Le but de ses créateurs - François Garnier, Fabienne Tsaï, Dionysis Zamplaras, Maxime Tibay, Loup Vuarnesson, Léa Mercier et Sofia Kourkoulakou - est de réinterroger la fameuse controverse de « l’affaire Roswell ».
Véhicules d’espoir de Manthos Santorineos prend la forme de maquettes sonores et lumineuses en interaction avec les spectateurs. Pour son auteur, il s’agit « d’une métaphore du microcosme de la maison, lieu de vie traversé par les réseaux de communication, d’informations, de projections, d’interaction ou d’illumination ».
ART ÉMERGENTISTE & ART GÉNÉRATIF
Sont regroupées ici, aussi bien, des œuvres issues de l’automatisme informatique - méthodes procédurales, algorithmes génératifs, processus de vie et d’intelligence artificielles - que des œuvres issues de l’automatisme psychique comme le dessin automatique ou l’improvisation gestuelle. De la sorte, émergent des créations artistiques inédites, singulières, parfois autonomes.
Avec Bella donna sive linnius hypericum digitalis, Miguel Chevalier nous fait découvrir le spectacle poétique de fleurs étranges, colorées et géométriques, les Fractal Flowers qui oscillent sous un vent virtuel et qui se renouvellent sans cesse grâce à la « germination numérique ».
Code émergent est une installation de Michel Bret dans laquelle il développe une conception émergente du code de programmation. Ce code, grâce à des algorithmes de vie artificielle, possède des qualités du vivant telles que les capacités à se reproduire, à évoluer, à interagir avec les musiques de Grégory Jarriges, et ainsi à « faire image ».
Dessin 158 de Xavier Lambert, « dessin sans dessein » pour reprendre les mots de l’auteur, résulte d’un processus de création rhizomatique et paréïdoliques d’où émergent des dessins automatiques évoquant des formes organiques imaginaires.
Enactive Drawings, est une installation de Chu-Yin Chen qui explore les modalités d’interaction énactive et les phénomènes d’hybridation entre réel et virtuel d’où émerge l’œuvre, en invitant le spectateur à dessiner avec son corps en mouvement comme dans une danse improvisée.
En présentant la série Growth, cinq animations en synthèse tridimensionnelle, Yoichiro Kawaguchi nous fait partager quelques-unes de ses pièces maîtresses qui évoquent tout le bouillonnement intellectuel et artistique des débuts de l’image de synthèse et qui font apparaître l’évolution du travail de cet artiste poursuivant cette veine créatrice inspirée par les formes de la nature : Ecology - 1976, Growth : Shell - 1976, Growth : Tendril - 1981, Growth : Mysteries Galaxy - 1983, Hydrodynamic Growth - 2006.
Mµ herbier de Catherine Nyeki et Marc Denjean invite le spectateur à devenir « un laborantin de l’imaginaire » en interagissant avec « une boîte de pétri » virtuelle où évoluent des centaines d’êtres hybrides composant une partition visuelle et musicale qu’il peut à son tour manipuler.
Avec l’installation Portrait on the fly de Laurent Mignonneau et Christa Sommerer, toute personne se plaçant devant le moniteur se voit tirer le portrait par un nuage de mouches artificielles dessinant son visage selon « un pointillisme entomologique » labile. Deux Portraits on the fly, celui d’Edmond Couchot et de Marie-Hélène Tramus en sont des exemples.
Tableau scénique 2.0, l’installation interactive de Sophie Lavaud, - interprétation 3D de l’œuvre Jaune-Rouge-Bleu de Kandinsky - propose au spectateur d’habiter l’univers du peintre et d’interagir par le geste avec les éléments du tableau virtuel qui réagissent dynamiquement selon un système multi-agents.
TRANSE, PERCEPTION
S’attacher à jouer sur la perception pour provoquer une transe sensorielle et esthétique, c’est ce que proposent les œuvres réunies ci-après.
Êtres-en-tr..., de Anne-Sarah Le Meur, est un film d’animation tridimensionnelle inspiré par la peinture gestuelle faisant percevoir un grouillement, un foisonnement en effervescence permanente : « des formes tubulaires, s’enroulant comme des gribouillis » « superperpositions, strates, béances … », « boucles, itérations, variations ».
Les créations numériques Rerust_075 et Tri-vermille d’Anne ?Sarah Le Meur nous invitent à explorer des univers de synthèse abstraits aux qualités perceptuelles organiques et hypnotiques émergeant de jeux de lumière et de couleurs subtils et fluctuants.
Le documentaire Rituels énactifs affectifs et la naturalisation des technologies : « entre le corps et le calcul, la transe et l’algorithme » présente six des œuvres les plus emblématiques de Diana Domingues. Dans ses créations, elle croise les « concepts entre Art, Culture et Technoscience, sous le biais du « mestizaje culturel afro-méso -américain ».
Avec le court-métrage d’Éliane Chiron, Rougir la mer, une transe visuelle pour voir la Méditerranée, s’expérimente en chaque regardeur une transe de couleurs, de lumières et de sons : « Chaque vague succédant à la précédente fait automatiquement émerger une nuance de rouge différente qui s’effondre sur une autre. Et c’est à chaque nuance nouvelle que surgira chacune des vagues se retournant sur celle qui précède, et ceci, sans arrêt et sans fin ».
MÉMOIRE, RUPTURE-CONTINUITÉ, DÉCONSTRUCTION
Agencements, assemblages, montages, hybridations d’images et de films numériques, ainsi que de peintures afin de questionner la mémoire, d’expérimenter les effets de rupture et continuité du digital, de déconstruire le visible.
Avec la série de photographies intitulée Ce(ux) qui nous habite(nt), Carole Hoffmann « prolonge par l’animation et le son, le moment intime qu’est la captation photographique ». La mémoire de l’artiste ressurgit par la confidence faite au spectateur qui revit ce moment grâce à la réalité augmentée.
Comme à la limite de la mer, un visage de sable, polyptyque créé en souvenir des conversations, de Norbert Hillaire avec Edmond Couchot, sur les effets de rupture et continuité à l’œuvre dans le monde digital : multifenêtrage des écrans, espace pictural des modernes, effacement de la limite, seraient l’arrière-fond de ce grand puzzle hétérogène mêlant photographies numériques et peintures.
Le Millefeuille d’Anne-Laure George-Molland expérimente un nouvel espace de création collective sur le réseau entre plusieurs artistes afin de créer une forme inédite de cadavre exquis animé grâce à l’hybridation numérique « entremêlant des idées et des styles graphiques » de chacun.
Notícias do Paraíso, Série B de Sandra Rey, agencement de multiples photographies numériques prises au cours de marches dans la nature, arbres, pierres, fleurs… est une tentative de déconstruction du visible pour « pour provoquer en lui [le spectateur] une attitude de re-création perceptive du monde » selon la formulation d’Edmond Couchot.
HUMAINS VIRTUELS, HUMAINS RÉELS
Les humains virtuels peuplent les créations artistiques suivantes qui expérimentent de multiples façons leurs interactions avec les spectateurs : par la gestuelle, par l’expression du visage, par la parole.
Avec le documentaire sur l’installation Devenez avatar, Étienne Perény, Étienne Armand Amato, Alain Berthoz et Nicolas Galinotti interrogent le processus d’avatarisation en donnant la possibilité à un spectateur de voler et de se diriger dans un paysage de synthèse.
Dialogue virtuel d’Homeira Abrishami et Cédric Plessiet propose une évocation d’Edmond Couchot permettant de retrouver la sonorité des paroles, des mots, des concepts qu’il lui était propre.
InterACTE, installation de réalité virtuelle de Dimitrios Batras, Judith Guez, Jean-François Jégo et Marie-Hélène Tramus, explore l’improvisation gestuelle entre un humain et un acteur virtuel, allant du mimétisme à l’autonomie.
Living Mona Lisa de Florent Aziosmanoff, est une adaptation du tableau de Léonard de Vinci où est explorée l’instauration d’une relation sensible entre la Living Mona Lisa - actrice virtuelle dotée d’une intelligence artificielle - et le spectateur, par des mouvements subtils du visage et de la tête.
Pilobolus virtuel de Michel Bret et Marie-Hélène Tramus, invite le spectateur à devenir un chorégraphe composant une arborescence de danseuses virtuelles se mouvant de façon dynamique en temps réel.
Quasar, la vidéo numérique de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki fait partie du Cycle de l’Ange (1985-2003) où les auteures hybrident le corps humain avec des corps astronomiques : « Avec Quasar nous revenons à l’autoreprésentation et au double autoportrait. Nos visages se rencontrent jusqu’à l’hybridation ».
Avec La Série du père - impressions numériques tirées d’une scène en image de synthèse tridimensionnelle - Miguel Almiron n’a pas pour objectif « d’atteindre la perfection de l’image de synthèse », mais il s’agit pour lui, par l’esthétique propre à ce médium, de nous faire ressentir ses émotions intimes.
ARTS VIVANTS ARTIFICIELS
Acteurs réels et acteurs virtuels se retrouvent sur la scène pour proposer des spectacles expérimentaux où se déploie un nouvel imaginaire émergeant de leurs interactions.
La pantomime filmée IAM4Mime, de Dimitri Rekatchevski, Adrien Gentils, Florian Girardot et Jean-François Jégo, révèle une scénographie en réalité mixte, tirée au cordeau, où un mime joue avec son double virtuel et effectue une jonglerie féérique avec des objets parfois virtuels, parfois réels, laissant le public dans l’incertitude et le ravissement.
Le spectacle, L’ombre de Georges Gagneré, est une adaptation du célèbre conte d’Andersen. Un castelet virtuel d’ « ombravata » contribue à immerger le public dans un lieu onirique et étrange où évoluent des ombres virtuelles réagissant à la narration.
Dans la pièce Les Spectateurs, Cédric Plessiet et Georges Gagneré questionnent de façon humoristique « les codes de la performance théâtrale et de l’hybridation émergente entre acteurs et spectateurs physiques et virtuels ». Un acteur tente de jouer le fameux monologue d’Hamlet, « Être ou ne pas être » devant un public capricieux composé d’avatars, doubles des deux auteurs.
38 ANS DE CRÉATIONS ARTISTIQUES NUMÉRIQUES DES ÉTUDIANTS D’ARTS ET TECHNOLOGIES DE L’IMAGE (ATI) DE L’UNIVERSITÉ PARIS 8
Sont réunies dans un panorama, des créations réalisées depuis 38 ans par les étudiants du département Arts et Technologies de l’Image de l’Université Paris 8 (ATI) : films d’animation de synthèse tridimensionnelle, installations interactives, installations en réalité virtuelle, augmentée, mixte, jeux vidéo artistiques, performances numériques. Elles sont le fruit d’un enseignement alliant arts, sciences et technologies dans une démarche de recherche-création.
L’adresse originale de cet article est https://inrev.univ-paris8.fr/spip.p...